Contre le Conseil national syrien et favorable à la loi islamique, la nouvelle “ Alliance ” construite mardi 24 septembre par de nombreuses forces rebelles est-elle l'amorce d'une radicalisation de l’opposition armée, ou une mise au pas des brigades Jabhat an-Nusra, liées à Al-Qaeda ? Les réponses de Romain Caillet, chercheur à l'Institut français du Proche-Orient.
La nouvelle coalition des forces rebelles syriennes, surnommée « Alliance islamique » par de nombreux observateurs, qui s’est nouée le 24 septembre 2013 surprend avant tout par son caractère hétéroclite. En effet, cette “ coalition “, en apparence “ contre nature ”, réussit la performance de réunir à la fois des brigades islamo-nationalistes liées aux puissances occidentales, des islamistes modérés proches des Frères Musulmans soutenus par des régimes du Golfe, des salafistes inclusifs financés par des ONG ou des hommes d’affaires saoudiens et même un groupe jihadiste en perte de vitesse.
De la brigade « Tempête du Nord », ayant récemment combattu les jihadistes de l’Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL), jusqu’à Jabhat an-Nusra, affaiblie par la popularité de l’EIIL, en passant par Liwâ’ at-Tawhîd et Liwâ’ al-Islâm, considérés comme des « islamistes respectables », toutes les divergences ont pu être dépassées pour rédiger un communiqué fondateur de cette « Alliance Islamique ». Ce premier communiqué de la nouvelle coalition s’articule autour de deux revendications fondamentales : le rejet de l’ancienne coalition d’Istanbul, c’est-à-dire le Conseil national syrien formé à l’étranger sous le parrainage des puissances occidentales, et l’affirmation que la loi islamique (ash-Sharî‘a) serait la seule source de législation dans la nouvelle Syrie. Ces deux revendications rompent ainsi radicalement avec la doctrine politique de l’Armée syrienne libre (ASL), dont l’essentiel de la composante islamiste, le Front islamique de lbération de la Syrie (FILS) a rejoint « l’Alliance islamique ».
A l’heure où nous écrivons ces lignes, toutes les brigades n’ont pas encore formellement confirmés leur adhésion à cette alliance, des commandants locaux ayant seulement paraphé le document au nom de leurs supérieurs. Si les brigades les plus modérées pourraient être incitées, par leurs partenaires arabes ou occidentaux, à se rétracter de cette alliance, les radicaux de Jabhat an-Nusra sont également sous pression. Annoncé depuis environ quarante-huit heures, un communiqué de son responsable général, Abû Muhammad al-Jûlânî, devrait probablement confirmer leur participation à la nouvelle coalition – ou au contraire démentir. En cas de confirmation, la présence de Jabhat an-Nusra serait ainsi normalisée au sein du courant majoritaire de la rébellion, entraînant toutefois une inévitable rupture avec al-Qaïda, les dirigeants du FILS, liés aux Frères Musulmans et soutenus par les régimes du Golfe, ne pouvant se permettre de frayer avec une organisation terroriste. Désormais fortement minoritaire, Jabhat an-Nusra et ses 3 000 hommes pourraient donc à moyen terme être absorbés par les 20 000 hommes de Harakat Ahrâr ash-Shâm al-Islâmiyya (HASI), principale force du Front islamique Syrien (FIS), la composante salafiste inclusive de « l’Alliance Islamique », forte de plus de 50 000 hommes.
Enfin, les deux grands absents de la nouvelle coalition sont, du côté des islamistes modérées, les brigades al-Fârûq, basées à Homs, qui pourraient s’éloigner peu à peu du registre islamiste, mais aussi les jihadistes de l’Etat Islamique en Irak et au Levant. Le paradoxe étant que l’EIIL se revendique aujourd’hui comme une formation totalement distincte d’al-Qaïda, tandis que Jabhat an-Nusra, qui avait formellement ralliée cette dernière afin de se soustraire à la tutelle de « l’Etat jihadiste », pourrait, au gré de ses nouvelles alliances, passer sous le contrôle indirect des régimes du Golfe.